Une humeur à fleur de glandes : quand le corps parle avant l’esprit
« Je ne comprends pas, tout allait bien… et depuis quelques mois, c’est la chute libre. Je pleure sans raison, je dors mal, j’ai des crises d’angoisse, je ne me reconnais plus. »
Ces mots résonnent dans les cabinets médicaux, portés par des patient(e)s en détresse. Des troubles de l’humeur souvent étiquetés comme « dépression », sans cause psychologique claire. Et si la clé n’était ni dans l’esprit, ni dans le passé… mais dans le système hormonal ?
Les hormones, ces messagers silencieux, régulent de nombreuses fonctions corporelles, y compris notre santé mentale. En médecine fonctionnelle et en micronutrition, l’approche globale permet de relier les points entre glandes, cerveau et émotions. Explorons ce lien profond, souvent méconnu, entre équilibre hormonal et bien-être psychique.
Les hormones, actrices clés de notre équilibre émotionnel
Des messagers aux multiples visages
Les hormones ne sont pas de simples molécules : elles orchestrent nos états internes avec une précision remarquable. Trois grandes familles influencent directement notre état émotionnel :
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Hormones thyroïdiennes (T3, T4) : elles régulent le métabolisme cérébral, la vivacité intellectuelle, la mémoire et la concentration.
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Hormones surrénaliennes (cortisol, DHEA) : elles modulent la réponse au stress et la résilience mentale.
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Hormones sexuelles (œstrogènes, progestérone, testostérone) : elles participent à la régulation de l’humeur, de la motivation et des interactions sociales.
Le cerveau, cible hormonale sensible
Certaines hormones influencent directement la chimie cérébrale via les neurotransmetteurs :
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Œstrogènes : ils modulent les récepteurs à la sérotonine, favorisant l’humeur positive et la stabilité émotionnelle.
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Cortisol : en excès, il inhibe le GABA (calmant) et stimule le glutamate (excitant), favorisant l’anxiété.
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T3 (thyroïde active) : elle augmente la dopamine et la noradrénaline, favorisant la motivation et la concentration.
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Progestérone : son métabolite, l’alloprégnanolone, active les récepteurs GABA, apportant un effet calmant et stabilisateur.
L’axe HHS : le chef d’orchestre du stress
L’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS) coordonne la réponse au stress. Lors d’un stress chronique, un excès de cortisol peut dérégler cet axe, perturbant les cycles veille-sommeil, la neurochimie et, à terme, l’équilibre émotionnel. Le cerveau perd alors son baromètre.
Quand l’équilibre hormonal se dérègle : symptômes et signaux
Hypothyroïdie : lenteur et humeur dépressive
Un déficit en hormones thyroïdiennes peut entraîner :
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Fatigue chronique,
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Ralentissement cognitif,
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Humeur morose ou apathique,
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Difficulté à prendre des décisions.
Dominance œstrogénique : fluctuations émotionnelles
Un excès relatif d’œstrogènes, en l’absence de progestérone suffisante, induit :
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Anxiété cyclique,
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Irritabilité,
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Insomnies,
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Hypersensibilité émotionnelle.
Fatigue surrénalienne : effondrement émotionnel
Après une phase de cortisol élevé, les glandes surrénales s’épuisent :
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Épuisement général,
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Détachement émotionnel,
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Humeur plate,
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Sensibilité accrue au stress.
Ces tableaux cliniques appellent à une lecture intégrative : le mal-être émotionnel ne relève pas uniquement du champ psychiatrique. Il nécessite un regard sur les glandes endocrines, les carences micronutritionnelles, et les interactions complexes du corps.
Micronutrition et équilibre hormonal : des solutions douces et ciblées
La micronutrition propose une approche fine et personnalisée pour soutenir les grands axes hormonaux.
Soutenir la thyroïde
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Iode : essentiel pour la synthèse de T3/T4. Dose recommandée : 150 µg/j. Prudence en cas de thyroïdite auto-immune.
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Sélénium : favorise la conversion de T4 en T3. Dose : 100–200 µg/j (sélénométhionine).
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Zinc : cofacteur enzymatique clé. Dose : 15–30 mg/j (picolinate).
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Tyrosine : précurseur des hormones thyroïdiennes. Dose : 500–1000 mg/j, à jeun.
Moduler le stress chronique
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Rhodiola rosea : plante adaptogène qui module le cortisol. Dose : 200–400 mg/j.
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L-théanine : favorise les ondes alpha, effet anxiolytique doux. Dose : 100–200 mg/j.
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Magnésium bisglycinate : soutien GABAergique. Dose : 300–400 mg/j.
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Phosphatidylsérine : abaisse le cortisol. Dose : 100–300 mg/j, plutôt le soir.
Rééquilibrer les hormones sexuelles
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Vitamine B6 (P-5-P) : cofacteur de synthèse des neurotransmetteurs. Dose : 25–50 mg/j.
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DIM (diindolylméthane) : favorise la détoxification hépatique des œstrogènes. Dose : 100–200 mg/j.
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Gattilier (Vitex agnus-castus) : équilibre œstrogènes/progestérone. Dose : 20–40 mg/j.
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Oméga-3 (EPA/DHA) : effet anti-inflammatoire et neuroprotecteur. Dose : 1–2 g/j.
Précautions et accompagnement : un cadre indispensable
La supplémentation, même naturelle, doit toujours être précédée d’un bilan biologique complet, d’une anamnèse approfondie et d’un suivi médical adapté. Un dosage inadapté, une interaction médicamenteuse ou un contexte pathologique peuvent transformer une solution en problème.
Conclusion : réconcilier hormones, émotions et nutrition
Notre santé mentale ne repose pas uniquement sur notre psychisme. Elle est profondément ancrée dans notre équilibre biologique intérieur. Comprendre les interactions entre hormones, neurotransmetteurs et micronutriments ouvre des perspectives de prise en charge plus holistiques, plus humaines, et plus efficaces.
La micronutrition ne remplace pas la parole, l’écoute ou le soutien psychothérapeutique. Mais elle complète la prise en charge, en donnant au corps les moyens de rétablir son harmonie biochimique, souvent négligée.
Références scientifiques
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